Nous contacter
Retour

Entretien : comment la procédure de Tiers Demandeur a-t-elle libéré les friches industrielles ?

Entretien

Aujourd’hui, tout le monde parle des friches industrielles. Recensées par le Cerema, financées par un Fonds Friche déjà abondé trois fois par l’État, elles sont présentées comme LA solution pour lutter contre l’étalement urbain. Si les friches sont sous les projecteurs aujourd’hui, c’est aussi grâce à un discret article de loi ALUR, une procédure administrative qui ouvre le champ des possibles : le Tiers Demandeur. Spécialisée dans la reconversion des sites pollués, Brownfields a naturellement été une pionnière dans l’utilisation du Tiers Demandeur. Abdelkrim Bouchelaghem, Directeur Général de Brownfields nous explique son fonctionnement et ses bénéfices.

Abdelkrim Bouchelaghem - Directeur Général de Bronwfields

Vous êtes la première société a l’avoir utilisée en France. Qu’est-ce que la procédure du Tiers Demandeur ?

A.B : La procédure du Tiers Demandeur est un article de la loi ALUR qui, lors de la mise à l'arrêt définitive d'une ICPE (Installation Classée Protection de l’environnement), autorise un tiers intéressé à se substituer au dernier exploitant. Elle consiste donc pour ce tiers à demander au représentant de l'État dans le département (le Préfet) l’autorisation de réaliser la remise en état d’un site à la place du dernier exploitant, en fonction de l'usage envisagé pour le terrain concerné. Concrètement, cette procédure permet à l’industriel de lui transférer son obligation de remise en état du site. 

Les décrets d’application ont été publiés en aout 2015 et, effectivement, Brownfields a été la première société à avoir obtenu un arrêté préfectoral. C’était en août 2016 pour notre projet de reconversion de la Raffinerie Petroplus à Reichstett en parc d’activités (l’Ecoparc Rhénan) , en Alsace. 

Pourquoi la procédure du Tiers Demandeur a-t-elle été créée ? Quels problèmes règle-t-elle ?

A.B : Elle intervient actuellement dans un contexte de raréfaction de foncier et de limitation de la consommation d’espaces naturels, le  ZAN (Zéro Artificialisation Nette). Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à voir la reconversion de friches industrielles comme un outil privilégié pour atteindre ce fameux ZAN. Avec le Tiers Demandeur, le législateur a voulu libérer les sites en fin d’activité en facilitant leur remise en état. Il lève le principal frein à leur redéveloppement. Car tout site ICPE en cessation d’activité doit être remis en état. Avant l’instauration du Tiers Demandeur, l’industriel devait effectuer des travaux de dépollution pour vendre le terrain. Et, ne connaissant pas toujours  l’utilisation future du site, il effectuait des travaux a minima, c’est-à-dire pour un usage identique. L’acquéreur devait donc effectuer une dépollution complémentaire, conforme à l’usage finalement envisagé, que ce soit du logement, du commerce ou de l’activité. Cette démarche de dépollution en deux temps, avec les surcoûts et les délais qu’elle impliquait, n’était pas très efficace.

De plus, cette procédure a été un déclic pour de nombreux propriétaires-exploitants de sites pollués. Le fait que les industriels puissent transférer leur responsabilité de dernier exploitant a incité nombre d’entre-eux à céder leur foncier, dans le cadre d’une transaction clarifiée sur le plan juridique. Avant le Tiers Demandeur, certains préféraient conserver leurs sites, quitte à y maintenir une activité réduite pour éviter une remise en état couteuse. 

Quelles sont les démarches pour obtenir un arrêté Tiers Demandeur ?

A.B : Elles sont très encadrées car les Préfets, plus précisément les DREAL, sont très vigilants et veillent à ce que le Tiers Demandeur apporte les mêmes garanties que l’industriel. La procédure s’effectue en plusieurs étapes.

  • La demande d’accord préalable

Elle doit présenter une proposition d’usage futur, intégrant l’accord du dernier exploitant, du propriétaire s’il est différent, de la ville ou l’EPCI compétent en matière d’urbanisme. Elle précise également l’étendue du transfert des obligations de réhabilitation et de surveillance. Le Préfet doit répondre sous deux mois, indiquant son accord sur l’usage futur proposé et précisant le délai de transmission du dossier complet. L’absence de réponse vaut refus. 

  • Le dossier de substitution

Document de présentation exhaustif du projet, il comporte :

  • Un mémoire présentant l’état des sols et des eaux souterraines et les mesures de gestion de la pollution au regard de l’usage futur.
  • L’estimation du montant et de la durée des travaux de réhabilitation, le montant de la garantie financière au bénéfice du Préfet pour pallier à une éventuelle défaillance du Tiers Demandeur, les délais et phasages du chantier
  • Une présentation des capacités techniques et financières du Tiers Demandeur, ses références.

Ainsi rédigé, les services de la Préfecture peuvent s’assurer du sérieux du projet comme du Tiers Demandeur. Ils ont quatre mois pour statuer. Là encore, absence de réponse vaut refus. L’arrêté de substitution devra préciser les travaux à réaliser, le montant et la durée des garanties financières ainsi que le délai de transmission de la maîtrise foncière. 

Industriels, villes, promoteurs… Qui sont les premiers bénéficiaires du Tiers Demandeur ?

A.B : Tout le monde y gagne. Les industriels gagnent en confiance. Ils peuvent vendre leurs terrains sans craindre de risque juridique, le Tiers Demandeur apportant toutes les garanties de dépollution et d’achèvement. 

Les villes sont satisfaites parce qu’elle voient des friches disparaître plus vite grâce à cette procédure. Elles peuvent d’ailleurs, via l’intervention  les EPF (Établissements publics fonciers), être Tiers Demandeurs. Cela leur permet de jouer un rôle plus actif dans le projet. 

Pour l’opérateur immobilier, c’est une façon de trouver du foncier bien placé. Il est évident que le transfert de responsabilité environnementale est un élément de négociation. La forte expertise de Brownfields en reconversion de sites, notre efficience en la matière, nous donne un avantage aux yeux de l’industriel, qui sera rassuré par notre réputation. 

Autre bénéfice pour l’opérateur immobilier : en tant que Tiers Demandeur, il est l’interlocuteur direct de l’administration à tous les niveaux, en amont avec la phase de dépollution et en aval avec le projet immobilier. Il a la main sur l’ensemble du dossier, ce qui peut générer un gain financier et calendaire non négligeable

Vous êtes l’entreprise ayant obtenu le plus d’arrêtés préfectoraux à ce jour. Le Tiers Demandeur est-il incontournable pour la reconversion de friches ?

A.B : La procédure est applicable pour tous les sites classés ICPE dont la cessation d’activité n’est pas achevé. D’ailleurs, de plus en plus d’industriels exigent un Tiers Demandeur lors de la consultation pour la cession d’un site, faisant même pour certains de l’arrêté préfectoral une condition suspensive de la vente. Pour les sites pollués ne relevant plus ou pas de la règlementation ICPE ou n’ayant plus de dernier exploitant, c’est le pétitionnaire du permis de construire ou d’aménager qui réalisera sous sa responsabilité la remise en état du site pour l’usage envisagé (article L556-1). Il devra notamment fournir une attestation d’un bureau d’études certifié dans sa demande de permis  démontrant qu’il a bien pris en compte l’état de pollution du site dans la conception de son projet.

Et oui, le Tiers Demandeur est devenu incontournable chez Brownfields, qui est actuellement leader en nombre d’attributions. Nous avons déjà obtenu 27 arrêtés préfectoraux, avec environ 30 procédures actuellement en cours d’instruction dans les préfectures, sans compter les prochaines qui doivent être lancées.

On associe souvent les procédures de Tiers demandeur et de Changement d’Usage. En quoi sont-elles complémentaires ?

A.B : La procédure de Tiers Demandeur est un changement d’usage, dans le cadre d’une cessation d’activité. C’est pour cela que ces deux termes sont souvent associés. Le Tiers Demandeur, comme le changement d’usage, nécessite aussi l’accord de la collectivité, ville ou agglomération. 

A votre avis, la procédure de Tiers Demandeur est-elle améliorable ? De quelle manière ?

A.B : Elle a déjà été modifiée deux fois, sur la garantie financière et la transmissibilité d’un arrêté préfectoral d’un EPF vers un aménageur. Je trouve qu’elle fonctionne bien comme cela. Elle est encore en rodage et doit prendre sa place. Quand quelque chose fonctionne, c’est risqué de vouloir l’améliorer. Après, si je dois citer un point d’amélioration future, on pourrait peut-être se pencher sur l’alignement des calendriers entre l’arrêté préfectoral et les autorisations d’urbanisme. Car le calendrier des travaux dépend des instructions et obtentions de PC. Il y a peut-être un curseur à régler en la matière.

Découvrez également...

+ d’actualités