Quelle est la place de l’agriculture dans la ville, ou quelle place doit-elle, peut-elle prendre ?
S.B : J’ai pris conscience de l’importance de l’agriculture urbaine lorsque je travaillais en Chine. Là-bas, beaucoup de sites sont pollués et c’est finalement sur les terres les plus saines que ce sont développées les agglomérations. Paradoxalement, il est difficile d’y trouver des produits frais alors même que beaucoup de paysans habitent en ville, poussés par l’exode rural. Venant moi-même de l’économie circulaire, cette expérience m’a amené à réfléchir sur des solutions qui rapprochent les producteurs des consommateurs.
Nous voulons tous tendre vers la neutralité carbone. Je pense que l’agriculture urbaine a un rôle important à jouer pour atteindre cet objectif. La ville peut produire de la qualité. Les consommateurs veulent des produits de qualité, ils veulent de la transparence dans la manière de produire, ils veulent de la proximité. Sans oublier que la production locale, sous serre, nous affranchit de la saisonnalité. Avec le concept BIGH Farm, on peut produire en hiver, grâce à la chaleur fatale récupérée de l’immeuble. Et, avec un circuit court, on peut également s’affranchir de la chaine du froid, qui fait perdre leur goût et vitamines à de nombreux légumes ou herbes aromatiques.
Pour vous, quel est le bon modèle pour l’agriculture urbaine : productive, participative, pédagogique ?
S.B : Les trois modèles sont complémentaires. Elle doit être pédagogique pour changer les habitudes et les a priori des gens sur l’agriculture ou l’alimentation. Elle peut être participative pour créer du lien social et, bien sûr, elle doit être productive pour perdurer. Il faut absolument qu’une partie de l’activité soit rentable pour qu’une exploitation soit pérenne. On ne peut pas vivre qu’avec des subventions. Pour moi, elles sont les bienvenues pour démarrer un projet mais celui-ci devra être économiquement viable à terme.
Nous parlons pérennité, donc rentabilité. Quelle est la taille critique d’une exploitation urbaine ? Quelle est la recette de sa longévité ?
S.B : La taille dépend surtout de ce que l’on peut vendre. Un potager en toiture n’est pas rentable. Il faut prendre en compte les coûts d’exploitation mais aussi de distribution. Le projet de Fort de Vaux, qui développe 1000 m2 de serre et 1000 m2 de pisciculture, est surtout viabilisé par l’accord de commercialisation passé avec une grande surface voisine. Je dirais que la taille minimale est celle qui permet de payer ceux qui y travaillent. Si l’exploitation est suffisamment intensive et propre, si elle vend des produits bons et sains, elle sera pérenne.
Vous développez tous vos projets dans une optique d’économie circulaire, labellisée C2C. Est-ce la clef du succès ?
S.B : Pour moi, c’est une condition sine qua none. Je suis impliqué dans l’économie circulaire depuis plus de 35 ans, luttant pour changer ce modèle prédominant qui consiste à prendre, consommer et jeter. J’adhère totalement aux principes du changement de paradigme Cradle to Cradle, qui considère que tous les déchets sont des nutriments, soit biologiques soit technologiques. C’est la base du concept Bigh Farm, qui crée véritablement une symbiose entre la ferme et le bâtiment qui l’accueille.
Justement, vous allez appliquer ce concept de Bigh Farm sur le projet de Fort de Vaux, à Paris 17e ? De quoi s’agit-il ?
S.B : C’est une ferme urbaine aquaponique qui associe culture de plantes et élevage de poissons, ceci dans un écosystème vertueux qui utilise, entre autres, l’énergie perdue du bâtiment. L’idée est d’avoir des échanges bénéfiques pour les deux. La ferme récupère la chaleur et le CO2 dégagés par l’immeuble, les eaux de pluie des toitures. En échange elle le protège et lui apporte une meilleure qualité de l’air et, pourquoi pas, une meilleure alimentation pour ses utilisateurs. Quant au système aquaponique, il consomme 50 fois moins d’eau qu’une exploitation classique, sans aucune utilisation d’antibiotique ou de pesticide qui endommageraient le bio-filtre et les micro-organismes qui transforment les déjections des poissons (ammoniac) en nitrate pour les plantes. Nous allons au-delà du bio ! L’eau des bassins servira aussi à l’arrosage des façades végétalisées.
L’immeuble Re-Source, qui va accueillir votre ferme, est lui aussi exemplaire. Était-ce un prérequis pour vous y installer ?
S.B : Bien sûr ! Je ne ferais pas de ferme sur un bâtiment qui ne partage pas l’éthique des BIGH Farm. Structure bois, matériaux biosourcés ou réemployés, énergie bas carbone… C’est un bâtiment « future proof », performant à tous les points de vue. Avec ce type de réalisation, nous pouvons produire proprement, en pleine ville.
On parle de récupération d’énergie, de filtration, de captation de CO2, l’agriculture urbaine est-elle forcément technologique ?
S.B : On ne peut pas se passer de la technologie. Ce système fonctionne très bien tout seul dans la nature mais n’oublions pas que nous sommes dans un milieu artificiel. Nous avons besoin de le contrôler la qualité de l’eau, de l’ambiance et des conditions idéales de croissance à l’aide de sondes et de gestion informatique.
La Ville de Paris a placé la végétalisation comme l’une de ses priorités. Elle s’est donnée comme objectif de compter 30 ha d’agriculture urbaine sur les toits. Est-ce ambitieux ?
S.B : La volonté de la Mairie de Paris est louable. Je pense que l’agriculture urbaine est un élément essentiel de notre civilisation. Grâce à elle, les villes pourront arrêter d’être des problèmes pour devenir des solutions. Et la production alimentaire en circuit court est une excellente solution. Le chiffre de 30 hectares est ambitieux mais c’est en mettant des objectifs élevés que l’on fait avancer les choses. Et quand il y a urgence, il faut s’appuyer sur le secteur privé et l’aider à lancer des projets. Fort de Vaux fait partie de ceux-là. Il n’est pas très grand mais sera très productif et très visible depuis le périphérique, qui va vers une transformation en boulevard urbain, et depuis les trains qui rejoignent la gare Saint-Lazare.
Un mot sur votre collaboration avec Brownfields ?
Déjà, j’ai eu un a priori favorable avec le nom de Brownfields, avec leur activité qui traite des terrains pollués ou déjà utilisés pour les transformer en projets positifs. Il y a une éthique, une volonté de travailler sur des sites compliqués. Boulevard du Fort de Vaux, ils ont fait un bâtiment très performant mais ils ont aussi rassemblé tous les éléments nécessaires à la pérennisation du projet de ferme. Je reçois beaucoup de sollicitations pour ajouter ma contribution à un projet, un concours. Je refuse 90% des demandes. Ici, il y avait une vraie volonté de créer une réalisation emblématique, un étendard de l’économie circulaire.