Vous êtes écologue, spécialisée dans les milieux naturels abimés. Quelle est la bonne recette pour renaturer des sites dégradés ?
Ma formation d’origine concerne les milieux naturels… Mais il n’y en a plus beaucoup, j’ai donc logiquement orienté mes recherches vers la réparation des milieux dégradés.
Il n’y a pas de recette toute faite pour la restauration écologique. Pour chaque site nous devons adapter les techniques existantes. Ce que je peux vous dire c’est qu’il faut toujours veiller à associer les processus techniques et l’acceptation sociale. Nos opérations de restauration concernent des socio-écosystèmes, c’est-à-dire des écosystèmes intégrant une activité humaine. Quand on veut donner toutes les chances de réussite à un projet, on doit mettre le social, le dialogue et la pédagogie au même niveau que les aspects techniques. Si les acteurs locaux - riverains, usagers, aménageurs ne s’impliquent pas dans le projet, le risque d’échec est important. Quand on parle de renaturation et que l’on arrive avec des pelleteuses, les gens ne comprennent pas forcément. Il y a un peu de pédagogie à faire, il faut expliquer et rassurer sur le devenir d’un terrain. Pour le site de Reichstett, c’est moins le cas car les acteurs étaient peu nombreux et très impliqués dès le départ, à commencer par Brownfields, le propriétaire du site.
Pour ce qui est de la partie technique, elle se fait avec des spécialistes dans différents domaines, des écologues, des paysagistes mais aussi des économistes et des juristes experts en environnement.
Vous avez créé une zone de renaturation écologique de 10 ha au sein de l’écoparc rhénan. De quoi s’agit-il ?
Il s’agissait de recréer une zone humide sur le site de l’ancienne raffinerie. Sur ces 10 hectares, nous sommes allés plus loin que ce qui nous était imposé en y ajoutant quelques zones sèches avec l’apport de merlons pouvant abriter également la faune locale.
Le fait d’intervenir en même temps que les travaux de dépollution était beaucoup plus simple. La création d’une zone humide nécessitait de descendre le niveau du sol pour se rapprocher de la nappe phréatique. L’excavation des terres polluées était donc bienvenue.
Nous avons effectué un diagnostic avant travaux et un inventaire de la végétation déjà présente dans le sol sous forme de graines. Nous avons ensuite préconisé les espèces à implanter et celles à laisser revenir naturellement. Pour les graines, nous avons sélectionné un mélange labellisé « végétal local ». Ces graines ont des génotypes adaptés au climat et au sol, ce qui est un gage de réussite supplémentaire. Le sol étant abimé, nous avons expérimenté différentes solutions pour accélérer sa régénération comme l’apport de terre végétale, l’introduction de vers de terre ou encore la scarification. Une fois les travaux achevés, on laisse faire la nature. Depuis 2 ans, l’écosystème commence à retrouver un bon état. Nous faisons des visites de contrôle pour vérifier s’il n’y a pas de plantes invasives indésirables.
Quelle est la nature de votre partenariat avec Brownfields sur ce site ?
Nous avons une convention de collaboration de recherche. Au-delà des préconisations et du suivi, pour nous c’est surtout une terre d’expérimentation. Nous y faisons de la recherche appliquée. Nous avons mené des expériences sur près de 80 zones de 2 m2. Une thèse est d’ailleurs en cours de finalisation sur ce site.
Vous allez suivre cette zone pendant plusieurs années. Quels résultats, quels enseignements en attendez-vous ?
Le suivi est très important dans la recherche. Nous avons prévu de surveiller l’écosystème pendant 2 ans mais 2 ans, c’est un peu court pour nos recherches. Des suivis plus longs nous permettent de valider ou d’invalider les techniques expérimentées, d’améliorer nos connaissances fondamentales en y testant nos hypothèses.
Comment faire coexister biodiversité et activité économique ?
Elles coexistent par la force des choses. Dans le cas de l’écoparc Rhénan, les activités profitent de cette zone naturelle. Aujourd’hui plus que jamais on se rend compte qu’un paysage bétonné n’est pas bon pour l’homme. Une zone de nature, c’est un bol d’air frais, cela améliore la qualité de l’air, de l’eau. C’est quelque chose de bénéfique pour les salariés.
Que retenez-vous de cette collaboration avec Brownfields ?
Tout d’abord, une rencontre avec des personnes venant d’horizons très différents et qui, avec leurs vécus, leurs points de vue, enrichissent la vision que l’on peut avoir de la renaturation de sites industriels. Puis je retiendrais la très belle démonstration d’un travail en vrai partenariat entre un aménageur et des chercheurs, où chacun y trouve un intérêt.
Pia MIGUET est cheffe de projet Responsabilité Sociétale de l’Entreprise chez Rubis Terminal Infra où elle travaille depuis 9 ans. Elle nous explique comment ce projet s’est inscrit à la fois dans une logique et une continuité de la philosophie de Rubis Terminal.
Comment ce projet a-t-il vu le jour du côté de Rubis Terminal ?
Après la fermeture de la raffinerie de Reichstett et notre rachat de la partie dépôt il restait une zone enclavée entre notre terminal et le reste du site. Cette zone tampon ne faisait pas partie de notre acquisition à l’origine. Reprise par Brownfields avec le reste du site, elle était essentiellement occupée par des bacs de stockage amiantés, contenant encore des boues (fonds de bacs) à éliminer. La zone présentait un fort degré de pollution des sols et de la nappe (avec une présence d’hydrocarbures flottants). Brownfields a réalisé l’ensemble des travaux de désamiantage, de nettoyage des fonds de bacs, de démolition et de dépollution de cette zone tampon. S’est alors posée la question du devenir de cette zone, inconstructible car inscrite dans le PPRT (Périmètre de Prévention des Risques Technologiques) liée à l’activité de notre terminal, et qui ne pouvait donc être valorisée sur le plan économique suivant les schémas traditionnels.
Nous avons donc élaboré avec Brownfields un projet innovant de renaturation écologique financé par de la compensation foncière et une participation de Rubis Terminal. Un partenariat tripartite entre Rubis Terminal, Brownfields et l’Université de Strasbourg s’est mis en place dans une démarche volontaire de préservation et de valorisation de la biodiversité du site.
Il nous semblait intéressant de mettre à profit ce foncier disponible mais inconstructible au service d’un projet pilote en ligne avec nos valeurs environnementales et mais aussi sociétales.
Outre l’amélioration de la qualité de vie sur le site des collaborateurs qui peuvent apprécier la faune et la faune à proximité de leur outil de travail, ce projet s’inscrit dans notre démarche globale d’intégration responsable de notre activité industrielle.
Ce projet illustre notre savoir-faire et notre capacité à réadapter et transformer des sites industriels SEVESO avec un fort passif environnemental dans un souci permanent de transition écologique et une dimension sociétale forte.
Comment s’est déroulé le projet et votre collaboration avec Brownfields ?
Après la dépollution, les équipes de Brownfields ont réalisé les travaux de remodelage pour récréer une véritable « zone humide » avec des habitats propices à différentes espèces faunistiques recensées dans l’environnement du site. Après ensemencement et développement de la flore, des espèces menacées d’oiseaux, papillons et crapauds ont progressivement colonisées la zone.
Rubis Terminal devenu entre-temps propriétaire de ce sanctuaire pour la faune et la flore, assurera la conservation et la maintenance sur le long terme de cette zone dont l’accès est interdit au grand public, garantissant ainsi la préservation de l’écosystème.